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Le billet d’humeur de Francis de Laveleye

Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski 

Top-là, t’en auras pour ton argent ! Le spectacle est haut de gamme dans la catégorie des films militaires et avec une grande sophistication visuelle. Les plans truqués, innombrables, le sont avec beaucoup de talent, (c’est la spécialité du réalisateur) le scénario est écrit avec les recettes les plus étoilées (les amateurs de restaurants des grades militaires apprécieront), la structure du film est parfaite même si parfois un peu longuette. On nous prépare à une opération hyper sophistiquée depuis un porte-avion. Cette préparation se fait sous forte pression de planning ! Et après l’opération, il y a des prolongements très spectaculaires. Bien entendu une petite romance ajoute une touche rosâtre au récit. Et tous les clichés éculés de la vie virile des soldats d’élite qui luttent pour la liberté contre un état voyou sont convoqués au rapport. Un casting de badernes parfait avec, dans le rôle principal, un mannequin sans talent qui n’a que deux ou trois expressions, qui, souvent, passent par le froncement de sourcils, ce qui ne gêne guère pour un acteur filmé généralement avec un casque qui lui masque opportunément l’essentiel de son visage totalement inexpressif. 

Le réalisateur a encore une courte filmographie mais qui se distingue par son exceptionnelle technicité. Et ce film-ci en démontre remarquablement la maîtrise. Une technologie très sophistiquée a été développée pour permettre des prises de vue réelles depuis le poste de pilotage de ces engins supersoniques. Et l’on ne s’en plaindra pas car « ça en jette ». 

Personnellement j’aimerais voir le making off du film qui doit être plus intéressant que le film lui-même tant cette production met en œuvre des moyens exceptionnels. Pour un résultat qui ne déçoit pas, sans pour autant nous amener au 7e ciel.

Leave no trace de Jan P. Matuszynski 

 

Ce long (2:30) film laissera certainement plus que des traces car il est un parfait exemple de ce que le cinéma de talent peut faire avec un sujet politique poignant. L’on pense à L’Aveu, à Midnight express, quelques autres de ces récits de notre époque, lorsque des régimes sans scrupule méprisent la personne pour défendre l’institution. Le film est une adaptation du livre polonais Sprawa Grzegorza Przemyka du journaliste Cezary Łazarewicz paru en 2016 (que je n’ai pas lu) qui nous raconte une histoire qui commence banalement par une sortie à peine tapageuse de jeunes étudiants et qui se terminera par une immense affaire d’état. Elle sera l’occasion de montrer la perversité du régime de Jaruzelski en 1983, qui allait être balayé par Solidarność en 1989. La mère de l’étudiant tué par la police est la poétesse Barbara Sadowska dont le doigt cassé témoigne déjà de la violence policière contre elle, personnage réel qui militait dans un comité d’aide aux prisonniers politiques.

L’histoire entremêle subtilement les points de vue de plusieurs personnages ayant existé ; l’ami de la victime, témoin unique, interprété de façon très convaincante par Tomasz Ziętek que nous avions découvert dans l’un des rôles de Corpus Cristi. De nombreux personnages forment un ensemble très complexe de rôles qui seront tous, à divers degrés, déterminants, et qui sont interprétés de manière très harmonisée, dans un ton réaliste, lourd, très intériorisé pour nous faire ressentir le poids de la peur qui règne sur chacun, quelle que soit sa position sociale. L’on pourrait sans exagération, dire que le film est l’incarnation même de l’oppression à tous les étages de la société, l’essence de toute dictature dont Poutine illustre tragiquement l’actualité, ce qui rend ce film-ci particulièrement poignant. Bien entendu il y a une magnifique reconstitution de l’époque (costumes, accessoires, voitures et extérieurs nombreux) mais il y a surtout quelque chose d’intemporel qui nous fait ressentir ce drame collectif comme présent encore si souvent ici ou là, et dont George Floyd est une autre victime symbolique.

Le réalisateur n’en est pas à ses débuts ; il a réalisé des documentaires, et une sorte de biopic, The Last Family utilisant déjà cette extraordinaire actrice que vous apprécierez dans ses réquisitions, Aleksandra Konieczna qui assure superbement le rôle de Mme Wieslawa Bacdonowa, la procureure.

Le style visuel est très affirmé qui alterne des plans parfois longs, acrobatiques, caméra au poing avec des cadrages très installés. Ce contraste soutient le passage d’un état à l’autre de la fébrilité à la torpeur, de la révolte à la sidération.  L’ambiance froide de l’image accentue le côté « pays de l’Est » comme nous avons pris l’habitude de les voir à travers de nombreux films tel Das Leben der Anderen. 

La bande sonore ajoute beaucoup qui fait peser la lourdeur qu’inspire la musique d’Ibrahim Maalouf, ce talentueux trompettiste qui a écrit cette fois pour l’orgue, et l’utilisation aussi de la musique de U2, en lien avec cette époque révolutionnaire dans les pays de l’Est.

Lorsque se termine le film, la question qui s’impose est de savoir si les brutalités policières ne sont pas le premier ferment de ce cancer social des pouvoirs autoritaires que certains pensent imposer à coups de matraque, qui bien assénés, ne devraient pas laisser de trace ?

 

Francis de Laveleye

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