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Critique de Memory de Michel Franco

Mémorable. Il me semble que ce film est une parfaite et rare réussite, un récit durant lequel chaque mot, chaque situation, chaque plan est signifiant qui concourent à la narration de façon très minutieuse, comme une peinture miniaturiste où chaque détail révèle tout un univers.

Alors disons d’abord un mot de l’image une nouvelle fois remarquable d’Yves Cape qui donne au film un ton de vie ordinaire par ses lumières, de nuit comme de jour, en extérieur ou dans l’intimité des deux ou trois logements qui seront les creusets de la vie qui se déroule devant nous durant plusieurs semaines. Les cadres sont particulièrement réfléchis qui donnent une vision à juste distance de ce qui se passe, soulignée avec peu de mouvements, toujours justifiée par l’action, le montage étant fait avec un sens parfait du rythme durant les séquences, et de leurs enchaînements pour faire avancer l’histoire. La sobriété et la précision de ce travail cinématographique est brillante et sans la moindre recherche de l’effet pour l’effet, pour le tape à l’œil.

Le scénario est construit comme un épluchage d’oignon, par couches successives et d’importance équivalente, qui font un peu piquer les yeux.

Nous découvrons ainsi, petit à petit, une mère surprotectrice, le personnage central, qui partage son modeste appartement new-yorkais avec sa fille adolescente. Cette femme à de multiples activités sociales, réparatrices : les alcooliques anonymes, l’aide aux déficients mentaux dans un centre de jour, la prise en charge d’un dément précoce, bref du social « lourd ». Une rencontre fortuite va devenir le cœur du récit car elle va révéler et réveiller des traumatismes profonds là où l’on ne les attend pas. Trois générations vont exprimer leurs douleurs et la fragilité des souvenirs enfouis pour diverses raisons.

C’est un film sur la volatilité de la mémoire mais l’indispensable recours à celle-ci pour mener sa vie, essayer de la comprendre et peut-être de la maitriser en tentant de surmonter les blessures abyssales qui en ont jalonné le parcours.

Bien entendu le déni, la dénégation, l’aveuglement seront les nœuds qui retiennent les douleurs que l’on découvre là où l’on ne les attendait pas, là où se confrontent hommes et femmes, où naissent les désirs inhibés de vengeances.

De ce réalisateur mexicain j’avais commenté déjà Nuevo Orden et Sundown parmi ses huit précédents films. Il s’entoure une nouvelle fois d’une distribution des rôles absolument parfaite et il faut citer Jessica Chastain, sorte d’Isabelle Huppert, aussi renfrognée que talentueuse, une immense personnalité du cinéma qui ici, défend un personnage peut-être proche d’elle-même et qui est particulièrement émouvant et tout en retenue.

Ne vous retenez pas, vous vous souviendrez longtemps de ce devoir de mémoire.

Francis de Laveleye

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