Le Syndrome des amours passées de Ann Sirot et Raphaël Balboni
Une vie démente le précédent film de ce talentueux duo avait déjà fait notre admiration et le revoilà avec la magnifique comédienne Lucie Debay dans une histoire que l’on pourrait penser inspirée par des complotistes qui veulent faire croire à un nouveau syndrome qu’il faudrait surmonter pour pouvoir enfanter. Une vaste blague, bien entendu, mais qui est le point de départ d’un film d’une grande richesse et d’une très subtile mise en œuvre. Nous sommes invités à suivre trois thèmes sous-jacents au récit qui montrent le couple en marche, parfois au pas de course, pour surmonter ce syndrome. Il y a la difficulté pour deux personnes qui s’aiment de, soudain, devoir intégrer à leur quotidien « le polyamour » qui va faire naître naturellement d’immenses questions sur les fondements de leur relation, de leurs attentes réciproques. Il y a aussi le douloureux espoir d’une grossesse espérée et que la nature ne semble pas pouvoir déclencher. Et enfin, il y a aussi les réactions de l’entourage, le point de vue des autres qui ne se privent pas de commenter cette situation, certes de pure fiction, mais qui nous touche par mille détails. Le récit est construit par alternances essentiellement entre des dialogues intimes, filmés souvent face au lit conjugal, et les retrouvailles de chacun avec leurs amours passées.
Les excellents dialogues sont montés de façon originale, par des « jump cuts » qui sont des coupes en pleine phrase qui s’enchaînent sans respecter la « loi des 30° » qui est généralement suivie en déplaçant la caméra pour éviter ces sauts d’image, accentués souvent par un léger rapprochement ou éloignement de l’objectif. Cela donne un petit côté « montage d’interview télé » qui est habile pour donner l’impression que c’est improvisé, pris sur le vif. Les scènes proposées pour évoquer métaphoriquement les retrouvailles entre anciens amants sont aussi amusantes, extravagantes, que variées et ce n’est pas du tout une surenchère de moments de copulation, loin s’en faut ! Il y a un petit côté James Ensor dans certaines de ces séquences.
Le film est belgicime, tourné à Anderlecht, avec des moyens modestes mais une maîtrise de chaque détail, ce qui atteste de l’immense travail fait en amont du tournage pour donner à celui-ci cette allégresse et cette profondeur de sentiments qui laissent les spectateurs heureux et émus à la fois. C’est le symptôme des amours à venir et à entretenir.
Wil de Tim Mielants
Il est des films qui font honneur à celles et ceux qui y ont contribué par leurs talents et, ici, leur courage.
Un film flamand qui aborde la question de l’ambiguïté du rôle de la police anversoise durant l’occupation, et de son implication dans les rafles, n’est certainement pas une bagatelle et l’idée que les faits ne peuvent être rangés dans les placards de l’histoire dès que le vent tourne, mais que ces faits doivent rester présents à nos consciences et débattus, médités, analysés, m’a semblé particulièrement motivant pour apprécier ce film important et très réussi. La voix off qui débute et clôt le film est une invitation à cette réflexion.
Wil est une jeune recrue de la police aux ordres des Allemands qui occupent la Belgique.
Avec son ami et collègue, ils vont être confrontés à d’épouvantables violences morales et physiques, de celles qui vous déchirent la conscience car il ne semble plus y avoir d’attitude à adopter qui soit digne.
Le déroulement de l’histoire est à découvrir à l’écran mais il m’a semblé mené de mains de maître, n’éludant aucun des pièges dans lesquels tombe le héros, qui rebondit puis se fait piéger à nouveau.
Et tout cela sous l’œil pervers d’un officier allemand, petit et aux cheveux bruns…
Soyez prêts à voir ce qu’il faut accepter de voir pour se souvenir et ressentir ce que tant de victimes ont dû subir. L’intérêt du traitement de cette histoire ici est que l’on voit à quel point le passage du rôle de bourreau à celui de martyr ne tient parfois qu’à très peu de chose.
De ce réalisateur flamand j’avais admiré déjà son premier film de fiction et il nous revient ici avec une œuvre majeure d’une rare maîtrise et d’une richesse visuelle admirable grâce aussi au talent du chef opérateur Robert Heyvaert (Rebel — Black — Bad Boys for live– e.a.) qui a su créer une ambiance très adaptée. Ainsi qu’aux talents d’une pléiade d’acteurs tous très convaincants et dont les accents flamands sont un régal qui amène un peu de sourire dans cette terrible tragédie traitée parfois avec une outrance gargantuesque qui souligne les veuleries de tous ordres qui s’entremêlent dans ce moment de l’histoire où être du bon côté, irréprochable, n’était ni évident ni simple.
Le producteur a déjà retenu l’attention avec Le Otto Montagne et son savoir-faire est éclatant à nouveau ici. Le film est une adaptation du roman éponyme de Jeroen Olyslaegers, et parmi les nombreux talents qui contribuent à cette réussite celui, une fois encore, de Katje Van Damme qui crédibilise les atteintes physiques de façon aussi réalistes qu’impressionnantes.
Wil est de ces films qui devraient être vus par toute la génération dont la conscience politique se met en place, pour mesurer ce vers quoi nous mènent certaines idéologies, certaines complaisances et un racisme vis-à-vis de ces « autres » que nous risquons bien d’être tous un jour.