La Dérive des continents (au Sud) de Lionel Baier
Un jour, tu verras, on se rencontrera. Cette belle chanson écrite par Mouloudji et composée par Georges van Parys, interprétée en italien, est sans doute l’une des clés de ce film qui en nécessite plusieurs. Nous y faisons la connaissance en Sicile d’une femme qui est en mission pour l’Union européenne, soucieuse du drame des migrants qui y débarquent en nombre.
Elle est chargée de la visite de Macron et Merkel dans le camp des réfugiés. L’histoire se déroule juste avant la crise de la covid. Et c’est très intéressant de voir comment les choses se préparent, de façons très complexes, peut-être un peu caricaturales, mais cela nous vaut quelques scènes savoureuses hautes en couleurs politiques. Une deuxième partie de l’histoire concerne les relations de cette femme avec son fils, qui a évidemment une vision et une analyse très différentes de la stratégie à adopter sur ces questions migratoires. Pas simple… Mais encore un fois très amusant par maints aspects, la judéité e.a. ce qui n’est pas sans pertinence lorsque l’on s’occupe de camps où s’entassent des populations très vulnérables. Une troisième partie du récit est liée au choix de genre de cette fonctionnaire en mission. Tout cela se mélange, rebondit de scène en scène et donne parfois le sentiment que le scénario part à la dérive. Mais l’essentiel est acquis : faire réfléchir à la situation des migrants, en maintes circonstances, en cela compris ceux de la Porte de la Chapelle. Une migrante prend la parole à un moment de façon véhémente. Et c’est elle qui dit ce qu’elle veut, pas le scénario du réalisateur suisse qui a déjà abordé de nombreux thèmes, sous diverses formes (télé, documentaires, …). Il assume son couple homo, thème qui affleure incidemment dans ce film-ci également. La remarquable comédienne Isabelle Carré porte le film. Nous avions pris la mesure de son talent e.a. avec Vingt et une nuit avec Pattie, Le Cœur régulier .
D’autres acteurs et actrices contribuent à rendre les personnages qui sont comme juxtaposés dans cette aventure, très crédibles malgré leurs diversités.
Une chose mérite de retenir l’attention, c’est la découverte de l’œuvre de Alberto Burri créée dans le village de Gibellina, détruit par un terrible tremblement de terre en 1968. D’autres moments, oniriques ou symboliques parsèment plus ou moins adroitement le récit, dont l’envol de la paperasserie en tourbillon comme nous en rêvons tous face à l’entêtement fonctionnarisé.
L’ensemble de ces éléments épars et de qualités inégales fait de ce film une œuvre singulière qui mérite l’intérêt plus pour ses ambitions que pour sa maîtrise. Mais son principal mérite est de regarder, à sa façon, l’un des plus grands drames de notre époque, celui des gens qui quittent tout et prennent des risques incommensurables avec l’espoir d’un mieux vivre. Si les continents dérivent dans le bon sens et se rapprochent pour une rencontre et pas pour un tremblement de terre.
Avec amour et acharnement de Claire Denis
Le retour du passé. Tel pourrait être le sous-titre de ce film intime et très émouvant, admirablement écrit et interprété de façon magistrale par Juliette Binoche et Vincent Lindon.
L’histoire se déroule sous nos yeux, et commence de façon idyllique. Un couple recomposé, elle n’a pas d’enfant, est en vacances et se baigne dans une mer immaculée dont le fond est de sable blanc. Une sorte de baptême du bonheur. Et le film se terminera aussi dans l’eau, mais elle sera seule. Immédiatement la musique vient happer le spectateur et le plonge dans une ambiance très contradictoire, faite d’angoisse. Et cette bande musicale d’une rare qualité servira de contre-point durant le déroulement de l’histoire comme pour nous suggérer qu’il ne faut jamais s’en tenir aux apparences ; en particulier celles du bonheur.
Le fils de Jean (Vincent) est issu d’une mère martiniquaise et vit avec sa sympathique grand-mère (une Bulle Ogier très attachante). Le sujet n’est guère développé mais atteste de relations familiales complexes d’autant que Jean, le père, semble avoir eu un parcours de vie compliqué. Dans ce simple bonheur d’un couple dans la maturité s’immisce par petites touches, un homme aimé autrefois. Et nous allons suivre le développement douloureux de cette situation vécue par la femme qui ne sait plus ni sur quoi, ni avec qui fonder son bonheur. Il y a des scènes d’une intensité exceptionnelle, dialoguées avec un talent magnifique et filmées de façon spectaculaire. La caméra occupe toujours une position qui nous permet de voir au plus près l’émotion des acteurs, de suivre leurs mouvements, de voir leurs mains si expressives, d’entrer véritablement dans leur psychologie si admirablement incarnée par deux acteurs qui deviendront des « monstres sacrés du cinéma français ».
Ce film est le quinzième de cette réalisatrice dont l’expérience est très vaste, documentaires, assistanats prestigieux e.a. et il est inspiré par le roman Un tournant de la vie de Christine Angot, cette autrice qui fait beaucoup de cinéma… Mais cette inspiration explique sans doute d’intéressantes considérations féministes aussi interpelantes qu’émouvantes dans le film.