Muidhond de Patrice Toye
En français, une tanche. C’est l’espèce qui désigne un poisson qui sera très présent dans le film. La réalisatrice belge n’a pas froid aux yeux. Appréciée déjà dans Rosie et Nowhere Man, elle nous propose encore ici un film exigeant. Rien n’est fait pour draguer le spectateur : c’est l’observation, l’analyse du comportement d’un très jeune homme en proie à des pulsions qu’il sait intolérables, terribles. Le début du film donne les deux clés : le garçon est surpris lors d’un comportement très ambigu avec une jeune gosse. Il est détenu, tabassé comme c’est, dit-on, généralement le cas pour les “pointeurs”, les prédateurs sexuels, puis il est relâché sans être inculpé. Avec une obligation de suivi psychologique.
Et le film nous donne à voir, longuement, lentement, le combat intérieur de ce garçon qui se sait au bord du drame. Pour créer cet univers de limite à ne pas franchir, la réalisatrice a choisi des lieux de tournage particulièrement significatifs. Là où la terre et l’eau se confondent, là où la mer s’arrête sur le rivage, dans des lieux de routes dont on ne sait où elles vont, des canaux immobiles et menaçants, et des pont-levis dressés qui, par leurs silhouettes effrayantes, semblent rappeler sans cesse la menace qui habite ce garçon. Menace d’autant plus oppressante qu’une jeune gosse très dynamique vit dans la maison mitoyenne. Ces deux personnages, le jeune homme et sa très jeune voisine, vivent chacun avec leur mère, célibataire. Pas d’homme. Sauf un psychologue palot et peu convaincant qui est en charge du suivi de ce potentiel pédophile. Nous allons observer le combat intérieur de ce jeune garçon soumis à la tentation, sorte de Saint-Antoine portant en lui ses propres démons. C’est très subtilement montré. Le garçon n’est pas très malin, il note laborieusement ce qu’il ressent, il doit l’évaluer, exprimer la conscience qu’il a de la dangerosité de ses pulsions. Et son travail d’ouvrier dans une entreprise de pêche semble particulièrement éprouvant. Par le fait qu’il décapite à longueur de journée des poissons innocents, lui rappelant peut-être ce qu’est être victime et le sort qui l’attend…
Et il y a son entourage professionnel assez rustre, qui le surprend d’ailleurs lorsque, débordé par sa sexualité, il essaye de s’apaiser, en solitaire. Ce garçon trouve avec un poisson une sorte d’objet de transfert, un “doudou” qu’il met en aquarium, prison symbolique pour un être vivant avec qui toute communication est impossible, sauf à de rares moments, par le contact de la peau, lorsque le poisson est porté contre son buste, lorsqu’il joue dans la baignoire avec la jeune fille qui s’exhibe en parfaite inconscience de ce qu’elle suscite chez celui qui la regarde ainsi jouer dans l’eau. D’autres moments permettent de raviver la tension et la tentation, sans que l’on ne puisse savoir si le drame va éclater.
Un film à apprécier avec patience, comme lorsqu’on observe la vie dans un aquarium où rien ne se passe comme prévu, sans qu’aucune communication ne soit possible, malgré le regard sans mouvement de paupière qui est celui du muidhond.
Bombshell de Jay Roach
Le cinéma américain dans toute sa puissance, explosive. Pourquoi n’avons-nous pas, en Belgique, la capacité de traiter de sujets politiques (au sens large) d’actualité ? A quand un film sur Nethys, sur la dioxine, sur les collaborateurs durant la Seconde Guerre mondiale encore célébrés au Nord du pays, les trafiquants de migrants en camionnette ou en camions frigorifiques … ?
Aux U.S.A. il semble possible de rassembler les moyens et les talents nécessaires pour un salutaire déballage de linge sale devant les électeurs, inspiré de faits réels.
Il s’agit ici des mœurs en usage dans la chaîne de télé FOX NEWS, devenue célèbre comme porte-parole officieuse de Trump.
Le film est aussi saccadé et rapide qu’un reportage fait de ” breaking news ” qui se bousculent, mais l’essentiel est parfaitement perceptible, même si l’on n’est pas “au parfum” de ce milieu de l’information : des femmes de talent décident à un moment que l’attitude des mâles dominants, à leur égard, ne peut plus être tolérée. Fusse au risque de la perte de leur emploi et de l’opprobre. Hélas la crainte pour une femme d’être brocardée alors qu’elle est victime, contribue souvent à s’assurer de son silence.
Le film est très puissant par son rythme, par l’incroyable utilisation d’images d’actualité qui n’épargnent personne, par sa liberté de ton, par le talent déterminé de ces actrices qui incarnent les vraies victimes qui ont pu rompre le mur insupportable du silence, sorte de prélude à l’affaire Weinstein qui démarre elle, en 2017. Le scandale évoqué dans ce film date lui de 2016. Les trois actrices sont toutes remarquables même s’il faut se concentrer pour ne pas les confondre, elles qui correspondent au même profil de la grande blonde d’une parfaite beauté, à l’éloquence affirmée et au regard pénétrant. Charlize Theron (co-productrice), Margot Robbie et Nicole Kidman sont éblouissantes. Le personnage mythique, Rupert Murdoch, patron de presse, est incarné par Malcolm McDowell qui avait tant impressionné dans Orange mécanique. Le réalisateur qui a travaillé beaucoup de sujets “politiques” est aussi producteur à ses heures. Une chose très perceptible et passionnante dans le film, est l’agitation de cet environnement professionnel. Ce qui permet d’y inclure des images réelles aux propos hallucinants de machisme et parfois d’une vulgaire grossièreté. Ce qui n’est guère perceptible, mais qui joue un rôle subtil, c’est la transformation profonde des visages grâce aux prothèses, aux maquillages audacieux, et le soin mis à habiller ces femmes qui font de la présentatrice télé une sorte de Barbie des média. La réalisation se caractérise aussi par un tournage multicaméras, qui s’accorde bien au style “télévision” même s’il contribue à donner à l’écriture du film un côté très impulsif, où la spontanéité et la confusion se côtoient parfois.