Maestro de Bradley Cooper
Sans doute pour moi, « le » film de l’année, d’une sobriété, d’un brillant, d’une intensité dramatique exemplaire. Une Emotional Side Story admirablement réussie.
D’abord parce que le film va nous pousser à (re)découvrir un personnage central de la musique de la seconde moitié du XXe s. un peu trop réduit à son triomphal succès pour West Side Story.
Ensuite parce que l’époque est magnifiquement remise en image, en suivant l’évolution du temps qui passe. Le choix du noir et blanc puis de la couleur est, avec les variations discrètes du cadrage, un apport sensible à ce magnifique film qui commence par une première interview. D’autres scanderont le parcours de cet homme qui a été très présent dans les médias. Amusez-vous à suivre l’évolution des techniques des plateaux télé.
Réussite encore parce que le découpage technique des plans qui se succèdent est majestueux, soit que le plan soit immobile et nous donne l’impression d’être présent en vrai spectateur du moment vécu par d’autres. Soit que la caméra virevolte avec une élégance, une imagination qui nous révèlent superbement des lieux, des déplacements. Vous ne verrez jamais Carnegie Hall de cette façon ! Et jamais vous n’assisterez à un opéra de Mahler avec une telle émotion !
Aussi parce que la musique occupe dans le film la place qui lui revient, certes, mais avec un à-propos, une diversité, une richesse et parfois un didactisme fascinant. Bernstein n’était-il pas aussi professeur ?
Et le récit maîtrise, comme un grand opéra, de nombreux thèmes qui s’enchevêtrent. Le milieu de ces artistes jeunes durant la guerre, les ambiances mondaines dans lesquelles la célébrité va les immerger. La passion pour son épouse avec laquelle il aura 3 enfants. Mais surtout dont il s’occupera avec un amour incomparable lorsque la maladie de cette femme le nécessitera.
Elle dira à sa fille ainée en guise de testament quelque chose comme « Le plus important dans la vie, c’est la gentillesse pour les autres, la bienveillance ».
Et elle en a fait preuve à l’égard de son mari qui a vécu sa bisexualité à une époque qui n’osait pas même l’imaginer.
Bradley Cooper est un immense acteur et un metteur en scène de toute première classe. A Star is Born avait donné déjà la mesure de ses talents. Ici il a atteint un sommet rarement égalé, époustouflant. Et la comédienne Carey Mulligan construit très finement son personnage à côté de son typhon de mari. Une très grande comédienne au mieux de sa forme pour défendre un rôle riche et complexe.
Il n’est pas indifférent de lire au générique que Spielberg et Scorsese sont liés au financement du film, mais pas seulement : ils ont eu envie de le réaliser !
Et je gage qu’ils n’auront pas été déçu de le voir.
The Zone of Interest de Jonathan Glazer
Rarement film m’aura paru plus intéressant !
Par l’intensité émotionnelle singulière qu’il suscite, de façon bouleversante.
Par la qualité formelle très maîtrisée qui donne aux propos du film une dignité, une noblesse ô combien nécessaire pour que la barbarie la plus abjecte soit stigmatisée comme rarement, sans recourir à des images chocs, simplistes ou sophistiquées.
Par l’originalité du scénario inspiré de faits réels.
Nous découvrons une famille allemande heureuse, nantie, de la grande bourgeoisie et qui vit dans une vaste maison avec jardin, piscine et serre, mais entourée d’un haut mur surmonté de barbelés. Et nous comprenons immédiatement que l’époque est celle du IIIe Reich et que le chef de famille est aussi le chef du camp de concentration et d’extermination mitoyen.
Le bruit sourd, ronflant et obsédant de l’enfer des fours dont l’on ne voit que les fumées, s’entend sans cesse durant nombre de séquences. Le film commence par une image noire qui, longuement, nous permet d’écouter une musique puissante, émouvante qui laisse place petit à petit à des chants d’oiseaux, sorte d’écho au vers : Pas un seul oiseau ne chante du Chant des marais écrit en juillet 1933 par des prisonniers allemands antinazis au camp de Börgermoor, un des premiers camps de concentration conçus pour y enfermer les opposants au nouveau régime.
Le film va basculer après l’impressionnante exposition de cette vie scandaleuse, juxtaposée à la mort la plus tragique qui soit.
Le chef est promu et va quitter cet enclos en y laissant sa famille pour prendre de plus haute fonctions dans l’organisation de l’holocauste dans les hautes sphère du Reich.
Comme l’écran noir du début, un écran rouge marque ce moment qui nous fera témoin des réunions et préparatifs par les officiers en charge de l’élimination e.a. des Juifs hongrois dont le drame terrible est moins connu mais évoqué par exemple dans Les Bienveillantes qui fait intervenir cet officier d’une cruauté insurpassable sans doute.
La rigueur du récit et la mise en image qui en est la parfaite illustration, donnent toute la singularité formelle nécessaire pour que et l’histoire et le regard porté sur elle soient supportables et d’une puissance évocatrice à la hauteur du sujet traité magistralement, inspiré du roman de Martin Amis.
Le réalisateur a exercé son talent en maints domaines mais ce film de fiction n’est que le 4e d’une carrière déjà longue. Il est inspiré par les écrits du commandant d’Auschwitz Rudolf Hoess (ou Höss) pendu en 1947 dont les mémoires inspirairent Robert Merle pour La Mort est mon métier. Les plans du commandant à cheval sont une allusion à l’initiative qu’il prit de créer un peloton de cavalerie SS admiré par Himmler. Impossible de résumer la carrière terrible de cet homme mais son évocation est un apport essentiel à la mémoire d’une tragédie sans équivalent. Les dernières séquences que vous découvrirez sont d’une poignante émotion, avec un bruit d’aspirateur lancinant qui s’efforce d’avaler la poussière.
Interessengebiet désignait une zone de 40 km carrés autour d’Auschwitz. Ce film lui redonne vie là où la mort anéantissait des millions d’êtres humains. Il est d’un intérêt essentiel.