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Jerry Lewis: un artiste incomparable

On n’imagine pas aujourd’hui le véritable culte voué à Jerry Lewis aux Etats-Unis (tant qu’il était associé à Dean Martin) et en France ensuite, où il était célébré dans les années soixante comme l’un des plus grands réalisateurs américains en tout cas par cette franche de la  jeune critique parisienne, notamment du magazine « Positif », pourtant imperméable à l’humour jusqu’à la caricature !

Je n’ai pas revu ses films depuis longtemps. Je préfère conserver le souvenir des émotions, de la passion que moi aussi j’ai voué à son cinéma en découvrant ses films lorsqu’ils sortaient sur grand écran année après année.

Ses grimaces faisaient pousser un haut-le-cœur aux intellectuels alors qu’ils étaient essentiels dans la panoplie du personnage qu’il avait admirablement tracé d’un « schlimazel », un éternel jeune homme maladroit et surtout mal adapté, qui avait pourtant la grâce d’un homme caoutchouc.

Un Technicolor flamboyant soulignait la laideur des intérieurs, des machines et des pavillons de banlieue faussement pimpants. Tandis que le Jerry de l’écran démolissait séquence après séquence appareils, voitures, et tout le bazar de cette Amérique de cette Amérique de la consommation triomphante qui se mettait en place.

Son duo avec Dean Martin, né dans l’immédiat après-guerre, donnait aux spectateurs de l’âge de la pré-télévision, une image moderne de l’humour, reléguant cruellement Laurel et Hardy à la préhistoire. Dean Martin, chanteur guimauve, représentait l’adulte, le bourgeois gentil et conventionnel tandis que Jerry était l’ado dément. L’un séduisait les femmes, l’autre les prenait pour sa maman.

Leurs numéros auraient peut-être patiné et fini par lasser s’ils n’avaient trouvé en Frank Tashlin un réalisateur remarquable qui réussit à donner un rythme électrique à leurs films, inspiré du dessin animé (il avait été cartoonist pendant quinze ans). Et des scénaristes qui plongeaient le duo (au départ formé pour des sketches de cabaret) dans de véritables satires sociales. C’est Tashlin qui signe leurs meilleurs films, « Artistes et Modèles » (Tashlin en est aussi le scénariste), ou « Hollywood or Bust » (« Un vrai cinglé du cinéma »).

Après ce film, le 17 ème du duo, Jerry Lewis décide de prendre son indépendance, sinon de grandir. Seul maître à bord, J. Lewis va lui-même écrire et réaliser d’abord un film quasi expérimental, « Le Dingue du palace », (« The Bellboy »), série de gags surréalistes pratiquement sans scénario comme le superbe « The ladies man » puis son chef d’œuvre « The Nutty professor » (« Docteur Jerry et Mister Love ») dans lequel un professeur de chimie maladroit et distrait se transforme la nuit en crooner séducteur (type Dean Martin !)

Entre ses propres réalisations, Jerry infatigable poursuit sa collaboration avec Frank Tashlin notamment avec « Trois bébés sur les bras » (« Rock-a-bye baby »), ou « Un chef de rayon explosif » (« Who is minding the Store ? ») et encore « Jerry chez les Cinoques » (The Disordely Ordely »). Pendant ce temps, il se produit sur scène et dans un show télévisé où il interprète ses gags célèbres.

Mais l’art du slapstick de Jerry commence à marquer le pas et peut-être aussi à afficher son âge qui l’empêche désormais de continuer à incarner cet éternel ado qu’il n’est plus. On a l’impression qu’il se répète (même si dans « Family Jewels «  (1965) il fait une véritable performance en incarnant pas moins de sept personnages tous plus fous les uns que les autres). Avec « Which way to the front ? » (Ya, ya mon général), il tente de se renouveler en s’inspirant du « Dictateur » de Chaplin mais le film n’est pas bon. Puis il se lance dans « Le jour où le clown pleura » l’histoire d’un clown qui essaye de faire rire des enfants enfermés avec lui dans un camp de concentration. L’œuvre (dont le sujet inspira sans doute plus tard Roberto Benigni) reste inédite à la suite de problèmes de production. Et Jerry Lewis se retire des écrans pendant près de dix ans. Avant de tenter un retour avec le bien nommé « Au Boulot, Jerry ! » (« Hardly working ») en 1980, suite de gags sur le modèle de « The Bellboy » avec un Jerry épaissi, vieilli mais qui a retrouvé le sens du gag. Malgré le succès du film au box office américain, Lewis a pratiquement terminé sa carrière de réalisateur et d’interprète burlesque. Il réalisera encore « Smorgasbord » en 1983, son chant du cygne et son adieu au cinéma burlesque.

On le verra encore mais dirigé par d’autres dans une adaptation de Kurt Vonnegut, aux côtés de Marty Feldman et Madeline Kahn, « Slapstick of another kind » (un générique de rêve mais un film raté) et surtout en acteur « sérieux » dans « La Valse des pantins » de Martin Scorsese, face à Robert De Niro. Un film magnifique, tragique qui a déconcerté le public qui s’attendait à une comédie et découvre un Lewis superbe à contre-emploi, presque effrayant de froideur.

Il apparaître aussi dans quelques rôles secondaires, excellent notamment dans le beau « Arizona Dream » de Emir Kusturica en vendeur de voitures, aux côtés d’un tout jeune Johnny Depp.

Jerry Lewis restera une figure majeure du cinéma, un démolisseur de génie, un metteur en scène inspiré et original, un magnifique acteur aussi et un personnage inédit et inclassable.

Alain Berenboom

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